Le séminaire de muséologie est un événement annuel à destination des professionnels de la médiation souhaitant revisiter leurs approches et alimenter la réflexion dans de leurs métiers. Co-organisé avec le Muséum d’Histoire naturelle où il se déroulait cette année, il est le fruit d’une collaboration entre le Musée Saint-Raymond, le Quai des Savoirs, le Musée des Augustins, la Cité de l’espace, l’association des muséographes, Science Animation avec le soutien de la DRAC (Direction régionale des Affaires culturelles Occitanie).

La 5e édition du séminaire a eu lieu ce lundi 3 décembre, lors de la journée internationale du handicap, et un thème tout à fait à propos : « Vers une accessibilité universelle dans les expositions : partage de pratiques ». L’événement était d’ailleurs traduit en direct en langue des signes française.

 

 

Des perspectives encourageantes sur le terrain toulousain

Francis Duranthon, Directeur du Muséum de Toulouse, ouvre cette journée en rappelant le devoir des collectivités publiques de rendre la culture accessible au plus grand nombre. Une démarche qui s’inscrit aussi dans la conquête de nouveaux publics.

L’Adjoint au maire Christophe Alvès en profite alors pour rappeler les initiatives d’accessibilité. Ces dernières sont encore trop méconnues car peu communiquées, que la ville est en train de mettre en place.

  • Des travaux de mise en accessibilité dans plus de 800 établissements municipaux et métropolitains recevant du public (ERP) verront le jour d’ici 2025.
  • Une plateforme en opendata permettant l’accès à diverses informations sur le sujet.
  • Un registre public d’accessibilité (RPA) mis en ligne sur cette plateforme.
  • L’application Toulouse connect permettant d’entrer en contact avec divers services publics via d’autres canaux de communication (Langue des Signes Française (LSF), Transcription en Temps Réel de la Parole (TTRP), Langue Parlée Complétée (LPC)…).

Dans l’optique de compléter cette heureuse liste d’actions, Flore Colette, conseillère de la DRAC, mentionne l’existence d’un guide pratique de l’accessibilité.

Le Musée des Augustins est alors pris en exemple, pour ses rénovations en cours intégrant diverses mesures d’accessibilité. Création de rampes, d’ascenseurs, d’espaces de repos, d’un rez-de-chaussée de plain-pied, etc. Autant de mesures architecturales démonstratives de la culture inclusive défendue par la Mairie de Toulouse et Toulouse Métropole.

Une responsabilité du musée envers son public

Les hostilités démarrent avec un témoignage de Cindy Lebat, Docteure en muséologie au CERLIS à l’Université de la Sorbonne Nouvelle, qui s’est intéressé au rôle des musées dans la construction des parcours personnels et sociaux des personnes en situation du handicap. Son étude aborde le clivage entre la proposition muséale et l’expérience de visite vécue par le visiteur lors du parcours.

Le musée comme reflet du monde

Avec la création des cabinets de curiosités, l’émergence du concept de « musée » se veut comme un résumé du monde et de la nature. Un espace pour comprendre l’Homme dans son rapport au monde et à l’autre. Ainsi, le musée devient révélateur de notre société et présente même une face normative de la société.

Le musée devient aussi un espace de vie citoyenne. En son sein, la visite ne se définit pas uniquement par son contenu, mais aussi par le parcours de vie individuel et donc propre à chacun. Parcours pouvant potentiellement inclure la survenue d’un handicap plus ou moins pérenne.

Finalement, le musée est révélateur de la place sociale octroyée aux personnes en situation de handicap selon plusieurs piliers :

La transition d’inclusion

Comme en témoigne ce séminaire, aujourd’hui, construire une société inclusive est un objectif. On parle alors de transition d’inclusion qui se matérialise par exemple par la création de dispositifs dédiés à des handicaps spécifiques. Ces créations à vocation inclusive suscitent pourtant des questionnements contraires :

Faut-il refuser les ségrégations pour garantir une inclusion plus respectueuse ?

Ou bien,

Faut-il concevoir des dispositifs dédiés pour des besoins spécifiques ?

En effet, on peut partir du postulat qu’un dispositif dédié est parfois indispensable à une expérience pleinement satisfaisante. Toutefois, il peut accentuer une forme de discrimination en pointant du doigt le public cible.

Les normes sociales : l’occulocentrisme

Le monde est régi par des normes sensorielles, corporelles et cognitives qui sont imposées et relayé par les musées. On peut alors se demander

Qu’est-ce qu’un corps « normal » ? Quels sont les biais de nos approches ?

Il ne fait aucun doute que les musées proposent une approche visuelle prégnante. L’approche par le toucher est généralement anecdotique, sauf dans les dispositifs dédiés. Un constat qui limite fortement la liberté de choix du visiteur sujet au handicap visuel et qui finit parfois par ne plus revenir. Mais si le toucher semble largement utilisé sur les dispositifs spécifiques, certains malvoyants et aveugles préfèrent se représenter mentalement une image plutôt que d’avoir à toucher l’image mise en relief. Ce type de témoignage pointe du doigt le choix d’alternatives que l’on veut parfois mettre en place en croyant bien faire, mais qui n’intègrent pas les attentes du public ciblé.

Le musée « refuge »

Si le musée impose une norme à tous, il devient malgré lui un lieu propice à l’expérimentation de soi où chacun peut appréhender son rapport au monde avec son handicap. Par ces contraintes de terrain, l’individu peut y développer des pratiques émancipatrices participant à la construction de son identité. Il est pertinent de réfléchir de quelles manières le musée peut accompagner ces transitions identitaires.

NB : Cindy Lebat est également fondatrice de l’association Mêtis, dont l’objectif est de créer du lien entre les chercheurs et le terrain. Et faire avancer la réflexion en faisant émerger de nouvelles problématiques.

Quelques retours d’expérience en conception d’exposition

Le séminaire a réuni quatre invités autour d’une table ronde pour effectuer des retours d’expérience sur différentes conceptions muséales.

Mille milliards de fourmis

Nathalie Puzenat, cheffe de projet à Universcience, ouvre le bal avec le cas de l’exposition Mille milliards de fourmis présentée au Palais de la Découverte en 2013-2014. Une exposition qui avait la particularité de présenter des colonies de fourmis vivantes et qui, dès le départ, était pensée pour les publics en situation de handicap en visite autonome. Un objectif accompli avec la cellule accessibilité interne à Universcience. L’exposition comptait de nombreux dispositifs dédiés tels que des maquettes à toucher, des films en LSF sous-titrés et audio-commentés, des films silencieux commentés d’une voix off pour les malvoyants, des visuels 2D traduits en relief et commentés en braille, une police de caractère imposante (18 pt), une hauteur de table à 73 cm…

Les dispositifs ont été très appréciés par l’ensemble des publics, élargissant l’offre muséale auprès des jeunes publics de moins de 7 ans de façon inattendue.

Pour finir, Nathalie Puzenat partage ses recommandations essentielles à l’élaboration d’un tel projet.

 

 

On en retient qu’un projet sera probablement facilité par le soutien d’une cellule d’accessibilité au sein de la structure.

Les peintures mises en scène

Bon nombre de musées sont confrontés à des problématiques d’accessibilité liées aux œuvres « à ne pas toucher » pour des raisons de conservation. Le Musée des Augustins de Toulouse a testé plusieurs formats pour donner vie autrement à ses peintures. Claire Ponselle, Chargée de projets artistiques – jeune public & familles, revient sur le parcours de trois expositions :

  • Ceci n’est pas un portrait focalise sur les sentiments et les expressions humaines dans des tableaux. Les tableaux y prennent vie au travers de récits audio mettant en scène les personnages dans les œuvres. Certains invitent à mimer l’expression du rire par exemple. Des dispositifs simples invitent à toucher les matières des costumes et écouter les instruments de musique qui y figurent.
  • Fenêtre sur cours, conçue sur le thème des cours intérieures qui abondent dans la peinture, propose des maquettes en volume et des plans en relief pour situer et représenter les atriums et patios. La notion de perspectives y est abordée via des puzzles et des dispositifs à manier en volume.
  • Toulouse Renaissance propose une plus grande diversité de supports : sculptures, peintures, manuscrits, dessins, tapisserie… avec par exemple la mise à disposition d’un métier à tisser.

En parallèle, le musée a développé une application mobile pour aider à la visite, comportant 22 pistes audio et vidéo disponibles en traduction LSF pour quelques œuvres phares. Par ailleurs, l’impression 3D de sculptures originales et la création de plans en braille font également partie des travaux en cours.

Le permis de toucher

Le Musée Fabre de Montpellier s’ajoute à la liste des projets accessibles avec l’exposition L’art et la matière présentée par Céline Peyre, Responsable du service des Publics, de la Médiation et du Service éducatif. Actuellement en itinérance, l’exposition comporte des dispositifs dédiés aux aveugles et malvoyants et suit les principes suivants :

 

Cette exposition, qualifiée de « galerie tactile » est le fruit d’un partenariat avec le Musée du Louvre et d’une collaboration avec un professionnel de la mémoire tactile.

L’art et la matière incarne la suite logique de cette galerie car elle traite de l’histoire de la sculpture, une thématique qui se prête particulièrement à la découverte tactile via des reproductions. L’objectif étant de recouvrer ce rapport sensuel à la sculpture, une démarche très ancienne abandonnée pour des raisons de conservation.

L’espace d’entrée propose des collections permanentes avec un accès par rampe, des témoignages traduits en LSF, des audiodescriptions proposant une méthodologie du toucher de concert avec la découverte d’une sculpture. Un espace jeune publique  permet de découvrir les sculptures avec les mains et le corps. Un autre espace proposait une immersion plurisensorielle dans l’atelier du sculpteur autour des techniques de création avec outils et matériaux palpables.

L’exposition L’art et la matière est le fruit de 4 ans de travail et 300 000 € de budget, moyennant l’intervention d’une équipe aux profils variés tels que scénographe, dessinateur, maître verrier, céramiste, brailliste…

Transcrire et adapter les contenus

Le regard de la dernière intervenante, Pilar Rodriguez, est intéressant pour sa double casquette en tant que Transcriptrice-adaptatrice de documents pour personnes déficientes visuelles et/ou atteintes de troubles DYS au Cteb (Centre de Transcription et d’Édition en Braille) d’une part, et mère d’un enfant concerné par un handicap visuel d’autre part.

D’après elle, l’adaptateur doit essentiellement se centrer sur l’information à transmettre. Dans son métier, elle évalue ce qui peut se toucher ou pas : les œuvres originales, les matières employées, les supports présents (papiers, audio, vidéos), la visite accompagnée ou en autonomie. Ces paramètres permettent de déterminer les failles dans la chaîne d’accessibilité. Une évaluation qui répond à des visiteurs de plus en plus exigeants en matière d’accessibilité. Finalement, il semblerait que la manipulation favorise une meilleure appropriation de l’objet et des contenus chez tous les publics.

De manière générale le récit polysensoriel par le tactile, l’olfactif, l’audio sont autant de vecteurs invitant le visiteur à créer son propre tableau mental. Et, selon elle, rendre le toucher abordable constitue déjà un très grand pas vers l’accessibilité. En bref, tout cela amène à s’interroger sur les possibilités d’accès à une œuvre originale.

La mise en circulation de fac-similés pourrait être une réponse aux contraintes budgétaires. Il existe d’ailleurs des matrices thermoformées d’œuvres 2D mises en relief et des catalogues de sculptures à louer.

 

Le design au service de l’accessibilité

Aurélie Pallard, Designer à Studio APA-Creation, est amenée à collaborer sur des projets accessibles et présente sa méthodologie. Tout projet nécessite une première phase d’analyse à ne pas négliger même si l’on manque de temps. Il s’agit d’identifier les contenus et les besoins, puis d’analyser le contexte, la sémantique, le budget. L’étape suivante tend à définir le cadre du projet pour ensuite concevoir et enfin fabriquer.

Aurélie Pallard revient sur quelques exemples de créations dont elle est à l’origine, dont une carte du ciel tactile ou encore une table d’orientation d’extérieur en relief.

Son intervention soulève une question quant à la rédaction d’un cahier des charges. Selon elle, le cahier des charges ne doit pas mélanger conception et fabrication, car le coût de fabrication est généralement très difficile à bien estimer dès la réponse à l’appel d’offres, sans travail de conception et échanges avec les commanditaires.

Si certains muséographes dans la salle ne sont pas d’accord, l’architecte Phillipe Mafre rappelle néanmoins que la loi précise que le concepteur n’est pas un fabricant et qu’il n’est pas généralement assuré pour cela.

 

 

 

 

Dispositif Virtuoz

On poursuit par une présentation du dispositif Virtuoz de l’entreprise Feelobject : un plan d’établissement en relief, et augmenté par des sons, permettant de se déplacer vers les différents services.  Ce dispositif a remporté le prix coup de cœur au concours européen de l’innovation touristique. Le dispositif s’adresse à tous les usagers tout en restant accessible au 1,7% de malvoyants en France.

Grâce au toucher, la personne peut se repérer dans l’espace et accéder à des informations sonores de géolocalisation de l’espace ou des commodités en cliquant sur des boutons. Chaque boîtier portatif est rechargeable par téléphone et coûte environ 990 € TTC, avec une majoration de 130€ pour chaque plan. Un plan peut recouvrir un peu moins de 1000 m². Sous forme de borne fixe, il est estimé à 4950€.

 

 

 

 
 

Accessibilité des lieux : regards croisés

Une seconde table ronde croise les regards du pôle handicap de la Ville de Toulouse et d’architectes. Des métiers directement liés à la loi handicap de 2005 concernant notamment l’accès égalitaire des lieux publics. Françoise Baque-Gachedoat, Chargée des actions handicap et inclusion, Maxime Arcal, Chargé des actions accessibilité et confort d’usage, et Jéremy Martinat, Animateur d’actions handicap pour le Domaine Handicap & Accessibilité au sein de la Direction des Solidarités et de la Cohésion Sociale de la Mairie de Toulouse, témoignent de cet élan en tant que service ressource de la Ville de Toulouse.

Un service à l’origine de la création d’une plateforme proposant de nombreuses ressources. Il s’adresse aux publics spécifiques comme les personnes en situation culturelle différente ou en situation de handicap. Tout un chacun est susceptible d’être concerné par un handicap au cours de sa vie.

 

 

 
Quelle que soit la nature du projet, il est recommandé de consulter les spécialistes de divers handicaps pour savoir comment répondre aux besoins.

Une nouvelle loi parue en 2016 insiste sur l’accessibilité au numérique, considérant davantage la population vieillissante. Plusieurs actions sont mises en place :

  • Renforcement de l’accès aux services téléphoniques avec la création de 30 numéros.
  • Création de Toulouse connect, une plateforme d’échange avec des agents de la mairie proposant une communication en LSF, texte ou LPC.
  • Création de Facil-iti, une plateforme FALC (Facile A Lire et à Comprendre)
  • Installation de quatre cabines téléphoniques en libre accès au niveau des maisons de la citoyenneté.
  • La captation vidéo des conseils municipaux traduits en LSF.

L’accessibilité, c’est avant tout une question d’accueil

Face à la stigmatisation du handicap, la municipalité dispense des formations à ses agents pour mieux le comprendre et agir en conséquence en matière d’accueil. D’autant que 90% des handicaps sont invisibles. Ainsi, des « référents inclusions » peuvent garantir les actions menées lors d’événements toulousains par exemple.

Jéremy Martinat rappelle qu’un accueil adapté relève du bon sens dans la majorité des cas. Le confort d’usage consiste d’abord à s’interroger sur soi, en prenant pour référence son entourage et se poser la question Quoi faire pour améliorer son confort quotidien ?

 

 

 

 
 

Plutôt qu’accessibilité, et si on parlait de solidarité ?

La parole est ensuite passée à Nadia Sahmi, Architecte DPLG en psychosociologie de l’architecture à Cogito Ergo Sum, qui pointe les erreurs à ne plus faire à trop vouloir se centrer sur le handicap. Elle prône une vision globale de l’accessibilité, en évitant de zoomer sur un handicap. Il s’agit de ramener l’Homme au centre des réflexions.

La ségrégation des publics peut générer des compétitions et des jalousies et mettre la pression au public cible minoritaire. Plutôt qu’accessibilité, pourquoi ne pas parler de « vie en collectivité » ?

 

 

 

 
Jusqu’alors, les aménagements ont malheureusement privilégié le modèle ouvrier que l’on souhaite rapide, efficace et fort. Désormais il faut tenir compte d’un nouveau paradigme  inclusif avec une nouvelle composante qu’est la « lenteur » des publics.

 

 

 

 
Une approche globale considère le psychique, le sociologique, le sens commun pour décloisonner tous les sujets. Une méthodologie d’accessibilité ne se cantonne pas à la médiation, mais préconise l’intégration via l’accueil, la communication extérieure, la billetterie, etc.

Cela comporte quatre domaines d’interventions : la technologie, le bâti, l’humain et l’organisationnel.

 

 

 

 
Philippe Maffre, Architecte du patrimoine-scénographe à Maffre Architectural Workshop, fait état de moins en moins de projets accessibles en France, alors que le combat est loin d’être terminé. Le cadre législatif est incomplet et malheureusement pas toujours compatible avec la conception d’ouvrage.

Cela laisse trop peu de place à l’innovation. Par exemple, la création de rampes non conformes (trop inclinées) est refusée alors qu’elle serait tout à fait utile. En Suède par exemple, des rampes de 14% sont admises ; ils ne misent pas sur l’autonomie, mais davantage sur l’entraide et la construction sociale. Ce type d’action participe notamment au plan anti-isolement des populations.

Face à la loi, il est néanmoins possible de faire appel à « l’effet équivalent » qui permet de proposer une alternative différente de la loi si elle est considérée « plus intelligente ».

Le musée, centre de changement social ?

L’après-midi, nous partons à la rencontre de l’univers d’Orna Cohen, Cofondatrice et Chief Creative Officer de Dialogue Social Entreprise GmbH, qui vient de Hambourg pour nous parler des expositions singulières qu’elle a conçues. Ses actions ont pour objectifs  de combattre tous types de stéréotypes et sont clairement engagées pour un changement social.

 

 

 
 

Une transformation du visiteur, mis à son tour en situation de handicap

Dialogue dans le noir traite du handicap visuel en immergeant le visiteur équipé d’une canne dans le noir absolu. Accompagné d’un guide malvoyant, le voyant se retrouve en situation de handicap et entretient un rapport interpersonnel avec son guide.

 

 

 
Basé sur le même concept, Dialogue en silence concerne le handicap auditif avec une exploration de la communication non verbale. Équipé de casque antibruit, le visiteur est plongé dans un environnement blanc, rond et feutré.

Chaque fin de parcours laisse place à un débriefing de l’expérience pour comprendre ce qu’il s’est passé lors de la séance et avec le droit de poser des questions au guide. Ces expériences visent la transformation du visiteur.

Le concept se base sur la méthodologie suivante :

  • Créer une plateforme de rencontre insolite
  • Positionner le visiteur en tant qu’objet et sujet de l’expérience
  • Proposer une expérience de groupe, collaborative
  • Susciter l’expression et l’écoute en faisant de la communication une priorité
  • Créer une rencontre authentique, une véritable histoire de vie

Jack Mezirow, père fondateur du transformative learning a défini les trois niveaux de transformation du sujet :

  • Psychologique, puisqu’il y a un changement dans la compréhension de soi, de sa perception et vision du monde. Il réalise que la vue ou l’ouïe sont des outils cognitifs, offrant une autre façon de voir et comprendre le monde.
  • Moral, car les enquêtes montrent qu’a posteriori, le visiteur révise ses propres certitudes, jugements et valeurs.
  • Comportementale, bien que peu de statistiques permettent de le quantifier. Mais dans les années à venir, il serait intéressant d’étudier les conséquences sur le mode de vie des visiteurs. Y a-t-il des changements concrets induits par l’empathie ?

 

 

 

 
Comment accueillir l’une de ces expositions ? Cela démarre par une rencontre avec le tissu associatif local, un maillage du territoire pour trouver des guides motivés et compétents notamment. Il s’agit ensuite d’adapter les contenus à chaque pays car l’expérience est forcément différente (bruits, codes sociaux, odeurs, langage des signes …)

Les bons réflexes pour créer des expériences polysensorielles pour tous

L’échange se poursuit avec Hoëlle Corvest, Responsable de l’association DUGTA (Design Universe Graphisme Tactile et/ou Audio), malvoyante, et fort d’une grande expérience en tant que chargée de l’accessibilité visuelle à Universcience.

Les référents accessibilité d’une structure ont besoin de connaître les codes des différents métiers des lieux culturels. Ils apportent une réflexion cognitive, ergonomique et prennent en charge des ajustements professionnels selon le besoin.

Concevoir une exposition praticable par les PMR (Personnes à mobilité réduite) commence par savoir comment atteindre le lieu avant l’ergonomie des dispositifs et des espaces transitoires.

Une exposition…  oui, mais sonore s’il vous plaît !

Certes, pour un voyant, il semble plus facile de lire des sous-titres que d’écouter un audio. Mais le son est une ressource extrêmement importante pour les malvoyants. Bien souvent, le son est mal géré dans les lieux publics qui est plus utilisé comme un habillage et rarement priorisé sur des budgets limités.

Dans une présentation sonore, on peut faire en sorte que les textes soient théâtralisés avec des « objets sonores » qui donnent l’impression d’un échange. Les sons spatialisés peuvent également agrémenter un dispositif multimédia tout comme des explications sonores accompagnant la découverte tactile.

 

 

 
 

Faire comprendre les formes : le toucher, beaucoup trop rare !

L’approche tactile par de fac-similés est très pertinente. L’expérience par le toucher permet d’acquérir des références de formes, une relation perceptive indispensable à l’apprentissage. Dans certains cas, elle permet une expérience inoubliable en se mettant directement dans la peau d’un personnage comme le proposait l’exposition Gaulois de la Cité des Sciences en enfilant une armure d’époque. Revêtir la peau d’un personnage fait prendre conscience d’une multitude d’éléments.

 

 

 

 
L’approche kinesthésique est plus large, car elle suscite le mouvement pouvant se manifester via des dispositifs manipulables de plus grande envergure.

Finalement, l’approche tactile est fortement émotionnelle. Le propos est illustré par une sculpture de bronze d’un fœtus taille réelle, que l’on autorise à toucher. Un moment fort pour ceux qui sont privés d’images d’échographies.

 

 

 

 
Le vocabulaire est limitant pour la description d’une forme, c’est pourquoi le toucher devient primordial pour concrétiser un propos qui ne peut être compris en se basant uniquement sur l’imaginaire. On rappelle aussi que le braille est une écriture ; elle a sa place dans les bibliothèques, mais ne se justifie pas automatiquement dans une exposition. D’autant que tous les malvoyants ne sont pas braillistes et que cette écriture prend beaucoup de place. Évidemment, quelques textes en braille permettent un dialogue direct et peuvent être employés pour transmettre une information clé. Pour conclure, Hoëlle Corvest dénonce la profonde discrimination liée à l’interdiction de toucher et réclame un permis de toucher des œuvres muséales non fragiles !

Et l’audio dans tout ça ?

Petit panorama avec Amandine Pillot, dirigeante d’Atout-caP & Consultante Politique Handicap. Férue des visites d’exposition qu’elle arpente à chaque voyage, elle nous relate les réussites et les ratés qui l’ont le plus touchée en tant que malvoyante. Pour elle, concevoir des outils de visite dans une démarche de construction passe entre autres par l’usage des audioguides pour les personnes malvoyantes. Car il ne faut pas penser qu’une personne malvoyante est toujours accompagnée.

Les systèmes varient d’un musée à l’autre. Par exemple, un smartphone fourni par le lieu est beaucoup moins praticable qu’une application à télécharger sur son smartphone personnel. Devoir s’adapter à un outil qu’on ne maîtrise peut s’avérer très contraignant. Cela dit, il ne faut pas non plus discriminer  les personnes sans smartphone. La plupart des déficients visuels optent pour l’iPhone, qui propose le grossissement de texte ou l’option de vocaliser entièrement le téléphone. Problème : beaucoup de parcours se basent sur des petits pictogrammes marqués sur les œuvres où ‘l’on doit déclencher l’audioguide… peu visibles pour des malvoyants.

L’une des expériences de visite les plus mémorables a probablement été à la Cité interdite en Chine, qui propose une carte avec une géolocalisation déclenchant l’audio à l’approche d’une œuvre. Ce système automatique est donc plus pratique que les numéros à composer sur les vieux audioguides. Le Quai Branly dispose lui d’audioguides dont le son est spatialisé.

Il fallait aussi mentionner le récent dispositif du Muséum de Toulouse, une visite mobile qui fonctionne par triangulation WiFi et géolocalisation, sans aucun téléchargement. Un avantage aussi pour les structures qui n’ont pas besoin de prêter de matériel.

Par ailleurs, en Nouvelle-Aquitaine, les musées disposent d’une appli paramétrable pour créer des visites géolocalisées : Visite patrimoine. Autre outil présenté : Muséo+, parcours sur iPad rendant la visite plus accessible, notamment aux enfants (par contre ce n’est pas du tout adapté aux malvoyants).

Méthodologie du design

La journée est finalement clôturée par l’intervention de deux Designers d’expérience, Émilie Soussi et Céline Schlienger, fondatrices et associées WD  adepte du Design Thinking et de la Méthode agile. Elles nous présentant leurs méthodes de design basées sur l’empathie et visant à croiser les regards pour se centrer sur l’usager.

Qu’est-ce que l’expérience ?

C’est un point de vue totalement subjectif, qui intègre tout un ensemble d’actions, de la préparation jusqu’à « l’après-expérience ».

 

 

 

Les fondamentaux

Le contexte d’usage sera le socle : rappeler d’abord la représentation commune des différents usagers. Connaître l’usager ne veut pas dire l’idéaliser. Il faut avoir un regard pragmatique sur la façon et les conditions dont il utilisera le dispositif. La découverte de l’usager se fait sur le terrain, via des statistiques, des enquêtes, des observations et témoignages, autant d’outils. Ils permettront d’établir des fiches profils et scénarios utilisateur. Nous, experts, devons accepter que notre regard soit biaisé.

 

 

 

 
La phase de co-création nécessite aussi des tests anticipés avec les usagers, à savoir qu’il vaut mieux se tromper vite pour recalibrer. Enfin, il faut itérer la phase de prototypage avant la matérialisation. À savoir que le design n’est jamais vraiment terminé.

 

 

 
Dans l’idéal, un projet se déroule sur trois temps.  Une phase de recherche, une phase de développement et une phase d’implémentation. Chronophage, la phase de recherche est trop souvent négligée. Pourtant ce temps est souvent rentabilisé lors de la matérialisation du projet qui aura été bien organisée en amont.

On revient alors à la question du cahier des charges. Il faut laisser de la souplesse au fabricant ce qui permet des ajustements imprévus. Ainsi, le besoin de sensibiliser les responsables d’institutions publiques se fait sentir.

C’est sur ces mots que s’achève le Séminaire de muséologie 2018, suivis de l’excellente restitution de la journée par Aude Lesty de la Cité de l’Espace.