15 mai 2014, à Futurapolis, grand forum sur l’innovation organisé à Toulouse. Sur scène, quatre experts des télécommunications débattent de l’avenir du smartphone. Au fond de la salle, comme un reflet du débat : une vingtaine de lycéens pianotent sur smartphones, tablettes et ordinateurs. Drôle de théâtre. Certains se lèvent, prennent des photos. D’autres écoutent, puis baissent les yeux, puis écoutent…

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Ils viennent du lycée Charles de Gaulle de Muret, accompagnés de trois enseignantes qui, elles aussi, dévorent des yeux leur smartphone. Ne vous méprenez pas, ils écoutent bien les intervenants. Ils sont en plein de « livetweet » de la conférence. Juste avant eux, c’était une classe du lycée Jean Baylet de Valence d’Agen qui partageait sur Twitter la précédente conférence. Ils tentent de retranscrire au mieux les propos des intervenants, l’ambiance de la salle, les concepts abordés… Cela fait plusieurs semaines qu’ils s’entrainent.

Aujourd’hui, ils sont là, à Futurapolis. Attentifs, réactifs, fiers. Ils écoutent les conférenciers, s’approprient le sujet, commentent, répondent. Nous, petite équipe d’encadrants, nous sommes admiratifs. Et surtout, fiers d’avoir réussi à intéresser ces jeunes, les avoir rendus « acteurs » d’une conférence scientifique de haut niveau. Ils en redemandent même !

Je partage donc aujourd’hui toute l’histoire de cette belle opération menée avec le rectorat de l’Académie de Toulouse et l’appui de nos amis de Relais d’sciences. Sans oublier les organisateurs de Futurapolis qui ont fait un beau cadeau aux lycéens en les accueillant et en leur faisant confiance pour livetweeter des conférences.

Attention, ce billet est volontairement TRÈS long afin de partager l’intégralité de la méthodologie mise en œuvre.  

Des jeunes entraînés au livetweet

Tout a commencé avec une initiative lancée par Relais d’sciences à Caen dans le cadre d’Inmédiats : en 2013, ils ont formé des lycéens au livetweet pour les faire raconter en direct la conférence « Grand Témoin » qu’ils organisent chaque année. Le résultat était plutôt sympathique ! Pour cela l’équipe avait fait appel à Clio Meyer pour former cette « webteam ». Ils en ont ensuite dégagé une méthodologie qu’ils ont réexpérimentée avec des étudiants, puis qu’ils ont partagée au sein d’Inmédiats.

À Toulouse, le projet nous a plu. Nous avons donc voulu prolonger cette expérimentation sur la région Midi-Pyrénées et continuer à enrichir le projet avec de nouvelles expériences. Je tiens donc à préciser que la méthodologie développée ci-dessous est largement inspirée du travail de Relais d’sciences.

Deux enseignantes-documentalistes ont voulu tenter l’expérience avec nous : Florence Canet au lycée de Muret et Hélène Baussard du lycée de Valence d’Agen. Elles ont été rejointes par deux enseignants en science et en électrotechnique, respectivement Ariane Rozenblum et Patrick Olivier. Une belle équipe, je peux vous le dire ! Notre défi : motiver des élèves de bac pro TFCA (technicien du froid et du conditionnement de l’air) pour livetweeter une conférence scientifique. Nos objectifs : les former de manière responsable à Twitter et au livetweet, et les faire travailler sur le récit d’une conférence scientifique.

Réalisée dans le cadre d’un projet d’« accompagnement personnalisé », cette formation s’est déroulée sur 8 heures et a accueilli environ 20 élèves dans chaque lycée. À Muret, il s’agissait d’élèves de Première bac pro tandis qu’à Valence nous avions des Secondes bac pro. Ils formaient deux « webteams », nos équipes de livetweeteurs.

Séances 1 et 2

La première séance a tout d’abord permis de poser le projet avec les élèves et de répondre à leurs interrogations. Puis on leur a fait découvrir Twitter : ses usages, son vocabulaire, ses coutumes… Pour la séance suivante, ils devaient se créer un compte « pro » spécialement pour le projet et commencer à l’alimenter. Pour certains, c’était intuitif. Mais pour la majorité, cela a demandé de se poser longuement dessus à la séance suivante afin de les accompagner pas à pas dans la prise en main de l’outil. Ils étaient très peu à déjà posséder un compte.

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On leur a alors lancé quelques défis à réaliser, inspirés du twittmooc : s’abonner à des comptes scientifiques, envoyer un tweet avec le hashtag #webteamjb (pour Valence) ou #webteamcdg (pour Muret), trouver un tweet parlant d’un robot, poster un tweet au sujet de la journée mondiale de la santé, retweeter quelqu’un qui parle d’électricité…

#webteamcdg #webteamjb Liste de comptes sur les sciences (à enrichir) : http://t.co/oY7d4WfHdl

— Audrey Bardon (@audrey_bardon) 21 Mars 2014

Ensuite, un temps a été consacré à discuter d’une charte de bonne conduite sur Twitter (avatars, propos illicites, données personnelles, droit à l’image…). Les élèves ont été invités à la signer.

Séances 3 et 4

La séance suivante les a fait entrer dans le vif du sujet : le livetweet. Des tweets issus d’un livetweet avaient été imprimés et découpés. En petits groupes, les élèves devaient les analyser et en dégager des « types » de message : les tweets citant les conférences, ceux qui partagent l’ambiance, ceux qui apportent des liens et ressources supplémentaires, ceux qui donnent le rythme de la conférence (début, fin, questions du public…), les tweets qui donnent les coulisses de l’équipe de livetwetteurs, ou encore ceux qui discutent avec les twittos.

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Si cet exercice n’était pas forcément facile pour des lycéens découvrant Twitter, cela leur a tout de même permis de bien comprendre les différentes missions de la « webteam ».

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Et c’était alors le moment du premier test de livetweet. Leur sujet : une courte vidéo sur les maths et la planète Terre. Ils l’ont d’abord visionnée. « Maintenant, vous allez devoir la livetweeter ». Panique dans la salle. On leur alors lancé des paquets de post-it. Le livetweet en ligne, ce sera pour plus tard. Il était important tout d’abord qu’ils apprennent à se concentrer sur le discours et à le rédiger en une courte phrase. La taille d’un post-it est idéale pour ça ! On leur a alors redonné les consignes : rédiger pour une personne à distance, qui n’a jamais vu la vidéo. Il faut lui partager tout ce que l’on voit, que l’on entend ou ressent. Il ne faut pas oublier non plus de préciser ce que l’on est en train de livetweeter au moment où l’on commence à le faire. « Et maintenant, c’est parti ! ».

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Certains étaient totalement concentrés sur la vidéo, et tentaient tant bien que mal d’en dégager une phrase. D’autres écrivaient à la vitesse de l’éclair. D’autres encore, soufflaient et chiffonnaient leur post-it. À la fin de la vidéo, avis unanime : « m’dame ça va trop vite ». On a alors récupéré tous leurs posts et les avons collés au tableau, dans l’ordre chronologique de la vidéo. Une trentaine de post-it étaient affichés, formant un joli livetweet coloré. « Vous voyez, vous avez l’impression d’avoir très peu écrit. Pourtant, j’arrive à retrouver quasiment tout le contenu de la vidéo, et à la comprendre. C’est la somme de tous vos tweets qui va faire quelque chose de vraiment intéressant. Donc pas de panique 😉 ». Les élèves étaient rassurés.

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Séance 5

Durant cette séance, les élèves ont cette fois-ci livetweeté directement sur Twitter, seuls ou en binômes devant un poste. Il s’agissait d’une vidéo de conférence scientifique, la conférence « Grand témoin » avec Julien Bodroff. Pour une première, ils s’en sont plutôt bien sorti ! On a ensuite commenté tous ensemble les tweets, proposé des améliorations (éviter les « ça », ajouter les auteurs des images, enrichir avec un lien…), etc.

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Puis nous leur avons donné quelques images de la conférence et leur avons proposé de tweeter les images en ajoutant un commentaire sur l’ambiance afin qu’ils apprennent à donner « l’atmosphère » de la conférence et commenter des coulisses.

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Séance 6

C’était la semaine fatidique, celle de Futurapolis. En amont de celle-ci, nous avions sélectionné les deux conférences qui seraient livetweetées et avions préparé les guides de ces conférences avec les biographies des intervenants, quelques ressources sur le sujet, des hashtags et comptes Twitter à mentionner, ainsi qu’un guide du livetweet.

Nous avions également défini les équipes de la webteam et leurs missions : les « FastandGenious » qui retranscriront les propos des conférenciers ; les « Futurelphie » capables de prendre de belles photos et partager coulisses et ambiance ; les « GoogleWarriors » qui maitrisent la recherche sur Google mieux que personne et seront capables d’apporter des ressources complémentaires (définitions, articles, biographies…) ; et les « Octopus » qui viendront en appui de chacun des groupes tout en commentant, répondant aux twittos et donnant le rythme de la conférence. Nous avions pour cela analysé les précédents livetweets et repéré les points forts de chacun.

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À la séance, nous leur avons donc annoncé et expliqué leurs missions respectives et demandé si cela leur convenait. Nous avons également demandé si certains dessinaient et se sentaient capables de dessiner en live. Évidemment, personne ne s’est désigné. Mais l’un d’entre eux a été « dénoncé » par ses camarades. Nous l’avons convaincu, lui montrant que ses amis semblaient avoir tout à fait confiance en lui pour ça. Il avait donc pour mission de dessiner en live sur le sujet en fonction de ce que les propos des conférenciers lui inspiraient.

Nous sommes donc passés au dernier entrainement : livetweeter une conférence avec plusieurs intervenants, en suivant les missions qu’on leur avait attribuées. Nous avons utilisé une vidéo d’une table ronde de Futurapolis 2013. Pour l’équipe des FastandGenious, nous avons fait le choix d’attribuer à chacun un conférencier à suivre et tweeter, afin qu’ils ne se retrouvent pas perdus et qu’il maitrise bien l’identité de leur « sujet ».

Moi, je suivais le livetweet dans une autre pièce, pour voir si je comprenais les propos sans voir la vidéo. Le résultat était plutôt probant ! Seul problème : les élèves qui devaient livetweeter un conférencier qui parlait peu se retrouvaient très frustrés à la fin. Changement de plan : « Vous aurez chacun une mission prioritaire, à réaliser le mieux possible. Mais si vous vous sentez de tweeter plus, d’autres intervenants, ou de faire des photos en plus, pas de souci ! » Ainsi, les plus rapides se sentaient moins frustrés et les moins à l’aise plus rassurés.

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Durant cette séance, nous en avons également profité pour leur montrer l’outil Tweetdeck, qui permet de gérer beaucoup mieux Twitter grâce à un tableau de bord.

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Nous avons également lancé un brainstorming à Muret autour du sujet de la conférence : le smartphone du futur. Nous avons été impressionnés par les remarques et questions des élèves qui soulevaient des points très intéressants : « est-ce qu’il faut vraiment qu’il évolue ? C’est déjà bien comme ça » ; « Y’a aussi le problème des ondes » ; « J’ai entendu parler d’un téléphone qui serait implanté dans la main »… Une étape très pertinente qui leur a permis de se mettre dans le bain et de bien cerner le sujet. Ils ont ensuite fait des recherches et tweeté quelques ressources pertinentes.

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Pour conclure cette dernière séance, nous avons fait un point sur tous les détails techniques de leur sortie à Futurapolis ainsi que sur le matériel à emporter (tablettes, smartphones, ordi, chargeurs…). Et les dernières consignes : « Pour nous, vous serez des journalistes en reportage à Futurapolis. Pensez à ceux qui vous suivent et vous lisent. Et surtout : amusez-vous ! »

Nos « webreporters » à Futurapolis

Nous sommes le jour J. La classe de Seconde de Valence est arrivée. Elle livetweetera la conférence sur la voiture de demain. Je leur distribue des petits papiers qui rappellent leurs missions principales ainsi qu’un badge « webteam » avec leur compte Twitter. Ils s’installent au fond de la salle, sortent leur matériel, prêts à tweeter. L’équipe « Futurelphie » qui s’occupe de partager l’ambiance prend des photos. Mais voilà qu’arrivent les premiers problèmes techniques. Classique. Aucun ordinateur n’arrive à se connecter. Aïe ! On leur prête les tablettes en rab et on redistribue matériel et missions pour que tout le monde soit à l’aise. Un peu de panique en début de conférence, mais tout va mieux. Les élèves commencent à livetweeter.

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Au fur et à mesure de la conférence, ils prennent confiance. L’orthographe n’est pas parfaite. Parfois ça pique les yeux. Mais l’enthousiasme et le sérieux sont là. Je m’applique à expliquer l’opération à ceux qui suivent le livetweet. Smartphone à la main, suivant attentivement le flux, je circule au fond de la salle avec les autres encadrants pour accompagner les élèves et les aiguiller dans leur livetweet. J’étais assez impressionnée de leur réactivité et leur pertinence sur les propos. Rappelons qu’ils sont en seconde !

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La fin de la conférence a sonné. Les élèves concluent le livetweet. Ils sont souriants. Ouf, ça leur a plu 🙂  À la sortie, ils rencontrent l’équipe de Muret, plus âgée et donc plus à l’aise, qui les bombarde de questions. Petit debrief, quelques photos, et en route vers la salle de conférence. Et là, la phrase « Vous auriez dû nous dire qu’il fallait bien s’habiller, on aurait sorti la veste ! ». Oups. En effet, on n’y avait pas du tout pensé. C’est vrai qu’à Futurapolis, c’est plutôt costard-cravate que jean-baskets. Mais surtout, cette phrase anodine révélait le sérieux qu’ils mettaient dans le projet.

Arrivée dans la salle, la webteam de Muret se met vite au travail. Je n’ai même pas le temps de leur redonner les consignes : ils sont déjà en train de mener à bien leurs missions. Et même très bien !

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Leurs tweets sont pertinents, intelligents, drôles. Je suis bluffée. Nos deux « Octopus » répondent aux twittos et partagent du contenu en même temps.

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On arrive au moment des questions et là, Ô joie, un élève prend le micro pour poser une question à propos du smartphone de demain. Ils tweetent, ils écoutent, ils s’approprient le contenu et le questionnent. Nous sommes hyper fiers d’eux.

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C’est malheureusement déjà terminé. Nous sortons de la salle, et là c’est l’explosion : « C’était trop bien ! », « j’ai trop envie de recommencer », « mais en fait, ça continue demain. On peut revenir ? », « Moi, je vais revenir avec une meuf. Ca va l’impressionner » ^_^

Non seulement ils ont fait du bon travail, mais ils ont apprécié la conférence et le livetweet, ont envie de retenter l’expérience, de revenir pour d’autres conférences. Nous avons donc réussi, grâce à cette pratique du livetweet, à véritablement motiver et impliquer des jeunes autour d’un sujet scientifique et technique, bien que le discours soit souvent plutôt complexe.

J’ai donc passé les jours suivants, le sourire aux lèvres en repensant à ce beau projet. D’autant que, le samedi, j’ai retrouvé l’un des lycéens de Muret revenu à Futurapolis avec un pote. Que dire de plus : <3

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Retrouvez les comptes-rendus en tweets de l’opération :